1 Contexte
Depuis 2009, l’ESEO développe une instrumentation optique innovante dédiée à la sismologie, dans le cadre de plusieurs projets de recherche (ANR RiskNat, HIPERSIS, FIMOPTIC, MARMOR). Cette instrumentation vise à capter des signaux sismiques et microsismiques dans des contextes environnementaux extrêmes : grande profondeur, haute température, fortes pressions ou champs électromagnétiques intenses.
L’instrumentation développée repose sur un capteur sismique optique passif, de type géophone, dont le déplacement de la membrane réfléchissante est mesuré à distance par un interrogateur optique nommé LOKI. Les deux éléments sont connectés par une fibre optique pouvant atteindre plusieurs kilomètres [1, 2, 3]. Cette architecture découplée permet de placer toute l’électronique (source potentielle de bruit et sensible aux variations de température) hors des environnements contraints, en ne laissant sur site que le capteur, entièrement passif et particulièrement robuste.
Ce dispositif, déployé sur plusieurs sites géophysiques d’intérêt en partenariat, notamment, avec l’ENS et l’IPGP [1, 2, 3, 4] a permis l’acquisition de signaux pertinents. Toutefois, le dispositif présente certaines limites, notamment une forte dépendance au réglage fin des paramètres de lecture et une sensibilité aux dérives lentes (vieillissement, effets thermiques, conditions de pose). Les performances du LOKI à très basse fréquence restent à optimiser, ce qui limite l’accès à des signaux continus comme les marées ou le bruit de fond terrestre, ainsi que la possibilité d’étendre le système à d’autres modalités (inclinométrie, pression, infrasons [5]…).
Une nouvelle collaboration entre l’ESEO et l’entreprise MAÅGM a récemment été lancée. Elle vise à industrialiser la technologie LOKI et à en étendre les usages à des domaines comme le génie civil, l’exploration spatiale ou le forage profond. Cette thèse avec l’entreprise MAÅGM, portée par un financement CIFRE s’inscrit dans une stratégie d’amélioration des performances et de basse consommation, compte tenu des application géosciences et spatiale.
2 État de l’art
Historiquement, jusqu’aux années 1980, les sismomètres étaient conçus en boucle ouverte : un système masse-ressort convertissait les mouvements du sol en signaux électriques via des transducteurs (souvent magnétiques). Ces systèmes souffraient de non-linéarités, d’une forte sensibilité à l’environnement, et d’une plage dynamique réduite [6].
À partir des années 1980, les capteurs en boucle fermée se sont imposés : une rétroaction active, basée sur une mesure de déplacement capacitive autorisant un très faible débattement,
permet de maintenir la masse immobile, et le signal mesuré correspond à la force compensatrice [7]. Ces systèmes présentent des avantages nets en termes de linéarité, de plage dynamique, et de résistance au bruit [8].
Cependant, ces capteurs actifs sont inadaptés aux environnements extrêmes en raison de la présence d’électronique embarquée. Ainsi, un retour réfléchi aux architectures passives en boucle ouverte a été initié par l’ESEO à partir de 2021 [9], non comme une simple reprise de solutions antérieures, mais comme une démarche innovante fondée sur une relecture critique des limitations des systèmes actifs. Cette approche s’appuie sur les avancées récentes en optique intégrée, en instrumentation interférométrique et en traitement du signal pour proposer une alternative radicale aux architectures conventionnelles, avec des bénéfices démontrés en robustesse, stabilité thermique et réduction du bruit.
3 Verrous scientifiques
Malgré leurs avantages structurels, les systèmes en boucle ouverte souffrent toujours de limitations majeures qui freinent leur adoption dans des applications de précision :
- Stabilité à long terme : Les applications sismiques exigent une stabilité sur des périodes longues, parfois supérieures à 100 secondes. Cela implique de maîtriser les dérives temporelles induites par les variations thermiques ou le vieillissement des composants, afin de garantir la fidélité des mesures sur la durée.
- Compensation des non-linéarités : Les réponses mécaniques du système masse-ressort-amortisseur peuvent s’écarter du comportement linéaire idéal, en particulier lorsque la raideur ou l’amortissement varient avec l’amplitude ou la fréquence. Une modélisation fine permettrait de compenser ces effets pour améliorer la précision de la reconstruction du mouvement.
- Fiabilité sur le terrain : Pour garantir une mesure fidèle et reproductible, le capteur doit maintenir un couplage mécanique robuste avec son environnement. Or, cette interface capteur-sol est sujette à des variations d’une installation à l’autre, souvent difficiles à modéliser ou à contrôler.
- Sensibilité aux basses fréquences : La détection fiable des signaux à très basse fréquence, cruciaux pour l’étude des phénomènes naturels continus (marées, bruit sismique ambiant), reste un défi technique majeur.
- Stratégie de calibration autonome : L’absence de référence intégrée rend la calibration initiale et le suivi temporel délicats. L’enjeu est de développer des méthodes de calibration embarquée ou à distance, minimisant les besoins d’intervention tout en garantissant la précision des mesures sur la durée.
4 Apports des méthodes modernes
L’émergence de nouvelles méthodes en traitement du signal permet aujourd’hui d’envisager une compensation numérique des défauts de la boucle ouverte, rendant possible leur redéploiement dans des configurations exigeantes. Parmi ces méthodes :
- Les problèmes inverses permettent de reconstruire un signal d’entrée à partir de mesures bruitées et non linéaires, en exploitant des modèles d’état physiques [10] ;
- L’estimation de paramètres dynamiques adaptatifs, où les coefficients du modèle évoluent dans le temps pour s’ajuster à des dérives lentes (température, vieillissement) [11, 12, 13, 14] ;
- La déconvolution non linéaire permet de compenser les effets du couplage mécanique ou des retards de propagation [15, 16] ;
- L’apprentissage automatique (machine learning) offre des outils puissants pour modéliser des relations complexes sans hypothèses paramétriques fortes, notamment dans les régimes non linéaires ou mal identifiés [17].
L’objectif est ainsi de combiner des modèles multi-physiques interprétables avec des techniques d’apprentissage adaptatives, afin de restaurer un signal fidèle à partir d’un capteur passif en boucle ouverte, tout en garantissant une efficacité énergétique optimale. Cette contrainte impose de concevoir des solutions intégrées, légères et adaptées aux ressources limitées du système embarqué.
5 Objectifs de la thèse
La thèse a pour objectif de développer une chaîne de traitement du signal robuste et adaptée pour corriger les mesures issues d’un capteur sismique optique fonctionnant en boucle ouverte, en s’appuyant sur des modèles multi-physiques existants, notamment celui du système masse- ressort amorti [18, 19]. Cette démarche s’inscrit dans une exigence forte de qualité métrologique de l’instrument : il s’agit de garantir que les traitements appliqués préservent la nature physique et la véracité géoscientifique des signaux, sans altérer la validité des mesures. La capacité à définir et maintenir cette qualité de mesure est ainsi au cœur de la thèse.
Le premier axe concerne l’intégration d’un modèle multi-physique connu dans une représentation exploitable pour le traitement du signal. Le système masse-ressort amorti, couplé à la lecture interférométrique [20, 21], sera formalisé sous forme de modèle d’état, afin de permettre la simulation, la linéarisation partielle et l’analyse fréquentielle de la chaîne de mesure. Cette modélisation constituera la base pour les étapes ultérieures d’estimation, d’inversion et de correction. Le but n’est pas d’établir un nouveau modèle multi-physique, mais de formaliser un modèle existant au sein d’une structure d’identification dynamique adaptée aux opérations de correction du signal. Il est important de souligner qu’il n’existe pas une unicité dans le choix du modèle multi-physique pertinent : au contraire, la démarche proposée favorisera un dialogue étroit entre modélisation physique et traitement du signal. Ce travail contribuera ainsi à affiner et orienter le modèle multi-physique, soulignant le caractère indissociable du couple capteur/traitement du signal plutôt que la séparation de deux problématiques distinctes.
Le deuxième axe vise à caractériser expérimentalement les paramètres du modèle, sur la base de données issues d’un banc de test en environnement contrôlé et de mesures déjà acquises sur le terrain. Des outils d’estimation paramétrique, incluant la reconstruction par filtre de Kalman, l’optimisation sous contrainte ou des techniques d’estimation bayésienne, seront mobilisés pour ajuster les paramètres dynamiques (amortissement, raideur, réponse optique, etc.) aux observations. Une attention particulière sera portée aux effets lents et dérivants (température, vieillissement), avec des stratégies d’adaptation dans le temps ou d’estimation glissante.
Le troisième axe porte sur le développement d’un algorithme de correction du signal mesuré, capable de compenser les imperfections du système tout en préservant la qualité métrologique des données. Il s’agira d’exploiter la structure du modèle pour construire un filtre inverse, éventuellement non linéaire, prenant en compte le bruit, les dérives temporelles, et les non-idéalités de couplage. La stratégie reposera sur des approches de déconvolution régularisée, éventuellement combinées à des techniques d’estimation récursive ou d’apprentissage automatique, afin d’adapter dynamiquement les paramètres lorsque les hypothèses linéaires sont violées ou que le couplage physique reste incertain. Un travail crucial consistera à valider la véracité des corrections apportées, en s’appuyant sur des mesures croisées avec des capteurs tiers de référence, garantissant ainsi la fidélité géoscientifique et la robustesse métrologique des résultats.
Enfin, le quatrième axe s’intéressera à l’amélioration instrumentale dans une optique d’assistance au traitement du signal, illustrant l’interaction étroite entre la conception du capteur et les méthodes de correction. Cela inclut notamment l’étude de l’ajout d’une voie de référence passive, capable de capter les perturbations d’origine non sismique (par exemple les variations de température ou les instabilités optiques), facilitant ainsi leur identification et leur soustraction au niveau du traitement du signal. Cette approche peut considérablement simplifier la correction en apportant une information supplémentaire sur les sources de bruit ou dérives. Par ailleurs, des modifications ciblées et peu invasives de l’architecture LOKI pourront être envisagées pour stabiliser la réponse fréquentielle, améliorer l’autonomie du système et favoriser des stratégies de calibration automatique, tout en conservant la nature passive et frugale du capteur. Ce travail explorera donc un couplage dynamique entre innovations instrumentales et avancées algorithmiques, où la découverte de mesures complémentaires pourrait influencer l’évolution même du capteur pour optimiser la qualité des données sismiques.
6 Description de l’entreprise
MAÅGM est une jeune entreprise française innovante, fondée par six experts issus du domaine de l’optique (dont un ancien président de la SFO et de l’EOS, deux membres de l’académie des technologies, et un chercheur CNRS) et de la mécanique, avec pour mission de placer la lumière au service des sciences de la Terre. Elle conçoit et développe des instruments scientifiques de haute précision, en s’appuyant sur des technologies optiques avancées issues de collaborations étroites avec des laboratoires académiques de renom. MAÅGM se positionne ainsi à l’interface entre la recherche fondamentale et l’innovation technologique, en traduisant les avancées scientifiques en outils concrets pour l’exploration géophysique, tant terrestre que planétaire.
Ancrée dans une démarche de co-développement avec les laboratoires publics (notamment l’ESEO, le LAUM et l’IPGP), l’entreprise porte une attention particulière à la dimension métrologique de ses instruments, en garantissant leur robustesse, leur stabilité et leur précision dans des environnements extrêmes. Elle est notamment impliquée dans des projets liés à la sismologie planétaire, où les exigences instrumentales atteignent des niveaux critiques. Dans ce cadre, MAÅGM soutient activement les travaux de recherche académique, comme la présente thèse, en assurant un lien fort entre conception opto-mécanique, expérimentation, et valorisation industrielle.
7 Environnement de la thèse
La thèse sera conduite en cotutelle entre l’entreprise MAÅGM, qui en sera l’employeur principal, et l’équipe de recherche Signal, Image et Instrumentation (GSII) de l’ESEO, située à Angers. Le GSII est rattaché au Laboratoire d’Acoustique de l’Université du Mans (LAUM, UMR CNRS 6613) et développe une expertise reconnue en instrumentation optique, traitement du signal et métrologie pour systèmes de mesure opérant en environnements exigeants.
Le ou la doctorant·e sera accueilli·e principalement sur le site de l’ESEO à Angers, où sont localisés les encadrants scientifiques ainsi que les ressources expérimentales (plateforme ESEO-TECH, infrastructure opto-mécanique du laboratoire). Il ou elle sera également amené·e à collaborer étroitement avec l’entreprise MAÅGM (Le Mans), partenaire industriel du projet, notamment autour des aspects d’industrialisation du système LOKI. Cette double affiliation garantit un ancrage académique solide et une immersion dans les enjeux applicatifs concrets du projet.
Le projet bénéficiera également de collaborations avec des partenaires institutionnels, notamment l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP) et l’ENS, pour les questions relatives aux signaux mesurés et à leur interprétation géophysique. Des synergies sont également prévues avec le projet de sismomètre planétaire porté par l’IPGP et MAÅGM dans le cadre d’un financement du CNES, permettant notamment des essais croisés et un élargissement du périmètre applicatif.
La direction scientifique de la thèse sera assurée initialement par Sébastien Ménigot (enseignant- chercheur à l’ESEO), puis reprise par Mathieu Feuilloy (également enseignant-chercheur au GSII) dès l’obtention de son HDR. L’encadrement scientifique quotidien sera partagé entre Mathieu Feuilloy et Guilhem Pagès, spécialiste du traitement du signal et de l’instrumentation.
En parallèle, l’encadrement industriel sera assuré par Frédéric Guattari, CEO de MAÅGM, qui suivra le projet dans la durée et accompagnera le ou la doctorant·e sur les aspects liés à l’industrialisation, à la valorisation des résultats et à l’intégration dans les projets de l’entreprise.
8 Conditions du déroulement de la thèse
La thèse se déroulera principalement à l’ESEO à Angers (environ 80% du temps), où sont basés les encadrants et les moyens expérimentaux principaux. Des déplacements ponctuels seront à prévoir :
- chez MAÅGM au Mans (environ 10% du temps), pour les échanges avec l’équipe industrielle et les phases de transfert technologique ;
- auprès des partenaires académiques (notamment IPGP, ENS) pour des tests ou discussions scientifiques spécifiques (environ 10% du temps) ;
- pour participer à des conférences ou événements de médiation scientifique (Fête de la Science, Nuit Européenne des Chercheurs, etc.).
Le ou la doctorant·e sera pleinement intégré·e à la vie scientifique du GSII (réunions d’équipe, séminaires), participera aux réunions de suivi avec MAÅGM et les partenaires du projet, et sera inscrit à l’École doctorale SIS (Sciences de l’Ingénierie et des Systèmes) de Le Mans Université.
Rémunération : 28 k€ brut annuel
Début : entre fin septembre 2025 et janvier 2026
ZRR : Ce poste est susceptible d’être soumis à autorisation du Haut Fonctionnaire de Défenses et de Sécurité (HFDS) du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR).
Contacts :
- Frédéric Guattari — frederic.guattari@maagm.com
- Sébastien Ménigot — sebastien.menigot@eseo.fr
- Mathieu Feuilloy — mathieu.feuilloy@eseo.fr
9 Profil recherché
Ingénieur ou Master 2 avec une solide expertise en traitement du signal, idéalement complétée par une sensibilité en instrumentation et/ou en physique appliquée. Le candidat devra faire preuve d’un intérêt marqué pour l’analyse et la modélisation de systèmes multi-physiques dans un contexte de mesure et de capteurs.
Des compétences complémentaires en optoélectronique et en électronique embarquée seront un plus appréciable, notamment pour faciliter l’intégration avec les dispositifs expérimentaux et les systèmes d’acquisition.
Un goût pour la recherche appliquée et l’innovation dans le domaine des capteurs sismiques sera également valorisé.